Mai 2006

Arif l’Afghan sort du camp de Lesbos

Sylvie LASSERRE

| publié le 14 mai 2007 |

Loin des projecteurs braqués sur Ceuta, Melilla, les Canaries ou Lampedusa, des migrants débarquent chaque année par milliers sur les îles grecques, via la Turquie. Ils arrivent d’Afghanistan, d’Iran, d’Irak, du Pakistan, de Turquie, du Bangladesh, de Somalie, du Maghreb et même de Mauritanie.

Une fois le pied posé sur le sol grec, les migrants peuvent rester « légalement » en Grèce, le temps que soit traitée leur demande d’asile - que moins d’1% obtiendront -, une procédure qui prend de trois à cinq ans.

Arif, vingt ans, est Afghan, de la tribu des Hazaras. Sa famille avait fui en Iran lorsqu’il avait six mois. Il vient de réussir son passage en Europe. Aujourd’hui il sort du camp. Voici son parcours.

Mai 2006. Camp de Mytilène sur l’île de Lesbos en Grèce, à dix kilomètres des côtes turques. Cinq hangars en enfilade. Hangar n°1 les Afghans, n°2 les Iraniens et les Irakiens, n°3 les Afghans encore, n°4 les Somaliens et les Mauritaniens, n°5 les Somaliens. Ce matin, Arif est heureux. Après le déjeuner, il sera libéré. Lui et tous les Afghans du camp. Derrière les barreaux de l’immense bâtisse jaune, son sourire est radieux. Son rêve est en passe d’être exaucé. Il est en Europe. Il est bientôt libre. Arif a vingt ans. Il vient de passer dix-sept jours au camp de Lesbos.

Les mêmes schémas se répètent depuis dix ans. Venus d’Asie, les migrants rejoignent la Grèce via la Turquie. Cachés dans des forêts ou dans des hangars près des plages, ils attendent la nuit pour prendre la mer, à bord de canots pneumatiques ou de barcasses usées. Principales destinations : Kos, Samos, Chios ou Lesbos. Ils sont prêts à tout, même à couler leur embarcation s’ils se font repérer par les garde-côtes qui patrouillent chaque nuit. Objectif : ne pas se faire refouler vers les eaux turques. Les clandestins le savent, les garde-côtes ont l’obligation de les secourir et donc de les ramener sur le sol grec. Ainsi le tour est joué. Parfois aussi cela se termine mal.

Arif et ses amis ont choisi le bateau gonflable. « Nous l’avons acheté à Istambul, puis nous avons pris le bus. Nous sommes descendus près d’une plage et nous nous sommes cachés dans un jardin en attendant la nuit. Nous avons ramé pendant quatre heures. Lorsque nous sommes arrivés à Mytilène, nous avons détruit notre bateau et nous sommes montés sur la montagne. » Arrivés sur la colline, le groupe laisse passer la matinée avant de se rendre au port. « Nous sommes allés prendre un café en attendant le ferry pour Athènes, mais une femme nous a remarqués et elle a appelé la police. Ils nous ont emmenés au camp. »

Comme Arif, plus des trois quarts des migrants clandestins sont arrêtés soit lors de leur traversée, soit dès leur arrivée sur les îles grecques ou encore au moment où ils embarquent pour Athènes. Difficile pour eux de passer inaperçus. D’après le préfet de Mythilène, il leur est impossible de passer à travers les mailles du filet. A leur arrestation, ils sont conduits au camp de l’île où ils restent en moyenne trois semaines, le temps d’effectuer quelques examens médicaux et vérifications administratives et de leur établir des « papiers ». Des papiers ? Une simple feuille blanche qui leur permettra de circuler librement sur le sol grec, le temps de demander l’asile.

Retour au camp de Mytilène. L’heure approche. Dans l’immense hangar traversé de vents coulis, Arif, Nizar et Khayam, tous trois Hazaras, ont déposé un petit tapis sur le sol pour une dernière prière avant le départ. Quinze heures. Un policier leur remet le sésame qui leur permettra de circuler librement en Grèce. La feuille blanche comporte leur photo d’identité, leur année de naissance et leur nationalité. Dès lors, ils disposent de vingt jours pour demander l’asile. En Grèce, moins d’un pour cent des demandes sont acceptées, mais la procédure prend de trois à cinq ans. Durant cette période, les migrants obtiennent une carte rose qui leur donne le droit de rester légalement sur le territoire grec, mais pas de travailler.

Sur la feuille d’Arif, la date de naissance indique : 1990. Seize ans ! Il en paraît au moins vingt ! Et il a dit qu’il était... Mauritanien ! « J’ai fait une erreur ! Quand je suis arrivé, on m’a dit de dire que j’étais Mauritanien et mineur, que ça irait plus vite ! Résultat j’ai passé plus de quinze jours au camp ! Si j’avais dit que j’étais Afghan, je ne serais resté que trois jours ! » explique-t-il. En effet, les sept Afghans du hangar n°1, arrivés deux jours plus tôt, seront libérés le même jour qu’Arif. Les Afghans ne sont généralement pas détenus plus de trois jours car il est illégal de les renvoyer dans leur pays. Il en va de même pour les Iraniens, les Irakiens, les Soudanais ou encore les Mauritaniens : leurs pays sont jugés trop dangereux.

Les grilles du hangar n°3 s’ouvrent enfin. Un dernier adieu à Zoi, l’infirmière du camp, puis Arif, Nizar et Khayam s’élancent sur la route. Direction le port de Mytilène, à cinq kilomètres. Cinq minutes plus tard, les sept Afghans du hangar n°1 rattrapent les trois amis sur la route. Le plus jeune a douze ans - ses parents sont morts -, le plus âgé vingt-deux. Ils avancent en file indienne sur le bas-côté de la route dangereuse. Quelques uns ont les mains vides - la police a jeté leurs sacs à la mer quand elle les a arrêtés -, d’autres portent un petit ballot. Les regards sont un peu hébétés par cette soudaine liberté et ces premiers pas sur le sol européen. Le soleil cogne un peu, l’air saoule vaguement. Une nouvelle vie, inconnue, inquiétante, les attend.

Chemin faisant, Arif confie ses projets. « Je vais rester à Athènes trois ou quatre mois. D’abord j’enverrai de l’argent à ma mère. Ensuite j’économiserai pour pouvoir poursuivre mon voyage. » Pour aller où ? « Je ne sais pas... Peut-être en Italie... en Norvège... ou en Angleterre... ou en France... Je ne sais pas. Et puis... Je veux retrouver mon père... » Son père est parti en Europe quatre ans plus tôt. Depuis, il n’a plus donné de nouvelles. « La dernière fois qu’il nous a téléphoné, il était en Espagne. Parfois j’ai peur qu’il soit mort, je sais que c’est dangereux de voyager avec les passeurs. »

Arif a un gros avantage par rapport à ses compagnons, il parle anglais. « Quand mon père est parti, il m’a dit : ‘ Mon fils, apprends l’anglais ! ‘ J’aime l’anglais. L’anglais, c’est tout pour moi ! C’est une langue internationale. » Arif est « migrant migrant » : ses parents ont fui l’Afghanistan quand il était bébé pour « s’installer » à Ispahan, en Iran.

Passe un 4x4, toutes vitres baissées, musique occidentale tonitruante. « Wouah !!! The music is fantastic ! » s’exclame Arif, soudain devenu euphorique. Pense-t-il donc que l’Occident, c’est le paradis ? « Je travaille depuis que j’ai huit ans. Mon métier, c’est de fabriquer des sacs. Je travaillais quinze heures, seize heures par jour, et après j’allais au cours d’anglais. C’était très dur. Tu connais la place de l’Imam à Ispahan ? J’y allais tous les vendredis pour parler avec les touristes. C’est comme ça que je me suis entraîné. »

Arif a fait le voyage depuis Ispahan accompagné de Nizar et Khayam. Ispahan, Téhéran, Van, Ankara, Istambul et enfin Mytilène. Un mois et vingt-cinq jours de voyage, dont douze passés à Istambul, le temps de trouver un passeur. Chacun a payé 300 euros. Un très bon prix, pour un service minimum. « L’homme nous a aidé à acheter le bateau et il a organisé notre trajet jusqu’à Ayvalik en bus. » Habituellement le passage coûte entre 800 et 1500 euros, selon les bourses, selon les destinations. Cela se négocie au cas par cas. Les passeurs trouvent toujours un arrangement...

Arrivés au port, Arif et ses compagnons décident de filer le soir même à Athènes. C’est à bord d’un ferry des lignes régulières qu’ils embarqueront. Le navire appareille à dix-huit heures. Ils achètent leur billet dans la première agence qui se présente. Dix-sept heures, ils sont à bord, soulagés, en passagers non clandestins. L’euphorie se lit sur les visages fatigués.

Athènes enfin. Au petit matin, l’inquiétude a remplacé la joie. Le navire approche du Pirée. La nuit a rappelé les esprits à la réalité. Un long voyage s’achève. Un autre, sans doute plus pénible, commence. Priorité : trouver un hébergement. Puis un travail. Coups de fil. Joindre les contacts des uns et des autres. Arif déniche un logement le matin même. Une chambre pour six dans un immeuble où logent 80 Afghans. Deux euros par jour, trois euros en plus pour prendre une douche. « L’immeuble appartient à un Afghan très riche, explique Arif. Il peut nous trouver du travail, mais pour 150 euros. » Arif préfère démarcher seul. Très vite, il déchante : il pensait trouver du travail le jour même.

Et puis... Une grosse contrariété l’attend. La police a pris ses empreintes au camp de Lesbos. Il vient d’apprendre ce que cela signifie : il ne pourra plus se rendre légalement dans un autre pays d’Europe. D’après la convention de Dublin, il devra obligatoirement demander l’asile en Grèce, le pays par lequel il est entré. S’il se fait arrêter ailleurs, il sera renvoyé en Grèce. Ses empreintes digitales sont enregistrées dans la base de données européenne Eurodac. Pas moyen d’y échapper.

Aux pieds de l’Acropole, un petit bruit emplit les rues de manière incessante. Un crépitement sec et puissant. Presque agaçant. Ce sont les « magnites », deux aimants arrondis que l’on lance en l’air et qui émettent ce drôle de grésillement en retombant tandis qu’on les rattrape. Achetés un euro chez les grossistes chinois, elles se revendent trois euros dans la rue. Les magnites, c’est la spécialité des Bangladais et des Pakistanais. Inlassablement, ils les font crépiter, tentant de les vendre aux touristes qui envahissent les ruelles. Parfois la police les chasse. Une heure après ils reviennent. Ils sont jeunes, maigres. Souriants, perdus, ils errent dans un mouvement brownien à l’affût des touristes qui déambulent, indifférents, en dégustant des glaces.

Une semaine plus tard enfin, Arif trouve un emploi de journalier dans une usine. Il n’est pas satisfait : « Je ne travaille que trois jours par semaine. Il n’y a pas de travail ici ! » Poursuivre sa route vers la Norvège ou la France, via Patras, le tente de plus en plus. « Sous un camion, c’est moins cher. » Mais toujours cette histoire d’empreintes...

Décembre 2006. Neuf mois ont passé. Les nouvelles d’Arif sont plutôt bonnes. Il est toujours à Athènes et cumule deux emplois. Le premier pour une entreprise de nettoyage, de neuf heures à dix-sept heures, le second comme homme de ménage dans un restaurant, de minuit à huit heures le matin. Il dort peu mais espère ainsi économiser douze mille euros qui lui permettront de s’envoler pour le Canada. Et puis... Il a retrouvé son père, Abbas. « Il est en prison en Afghanistan. Les Talibans l’ont attrapé. » Il y a quatre ans, Abbas était en France. Il s’est fait attraper, ils l’ont envoyé en Afghanistan. Cruel retour à la case départ après tant d’années de migration, alors que sa famille se trouve en Iran... Arif garde le moral : « Même s’il est en prison, je suis heureux parce qu’il est en vie ! »

 

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