Article du Monde 14-07-03
par exiles10 | publié le 14 juillet 2003 |
ILS SONT ARRIVÉS en file indienne et se sont sagement rangés sur un bout de pelouse envahi par les riverains en quête de bronzage. Des militants des différentes associations de soutien ont suivi en ordre dispersé, avec leur sac de couchage et leur Thermos. D’autres ont apporté d’immenses cartons de couvertures, prêtées par Emmaüs, ou des sacs de pique-nique. Des banderoles ont été accrochées aux grilles pour prévenir de cet "appel à coucher dehors".
Samedi 12 juillet, le collectif de soutien aux exilés du 10e arrondissement a décidé de prendre possession pour la nuit du square Villemin, à Paris, sur le canal Saint-Martin. Pour dénoncer la situation de quelque 130 Kurdes d’Irak, Afghans et Iraniens, laissés à la rue, et dont le sort n’est pas réglé.
"JE VEUX ARRIVER À BIEN VIVRE"
Début mars, des militants du 10e arrondissement avaient découvert un drôle de squat, square Alban-Satragne. Une centaine d’étrangers, échoués là après avoir été refoulés de Calais, survivaient comme ils pouvaient dans le froid. Un comité de soutien avait fini par obtenir un hébergement en hôtel pour quelque dizaines d’étrangers.
Quatre-vingts d’entre eux ont déposé une demande d’asile. "Dès qu’ils ont été mis à l’abri, ce fut comme une épidémie. Ils ont tous voulu demander l’asile ici et arrêter leur voyage. Comme quoi les affirmations du ministère de l’intérieur prétendant qu’ils ne cherchent qu’à passer en Angleterre sont fausses", note Jean-Pierre Alaux, responsable du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti). Mais le nombre de chambres disponibles allant en diminuant - une cinquantaine aujourd’hui -, le squat a repris. "Ces exilés sont symptomatiques de la faillite du dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile", assure Djamal, du collectif de soutien.
Les associations chargées de l’hébergement sont débordées. Alors les militants du droit d’asile ont décidé de montrer que les "exilés du 10e" ont autant besoin de protection que ceux de Sangatte. Lors de la fermeture du centre de la Croix-Rouge en décembre 2002, quelque 1 500 étrangers avaient obtenu un titre de séjour en Grande-Bretagne ou en France. Ces Kurdes ou Afghans ont tous payé des sommes astronomiques pour gagner l’Europe. Pas tant poussés par la répression ou la guerre que par la promesse d’un mieux-vivre. "Ils ont tous soif de démocratie", souligne Violaine Carrère, du Gisti. Comme Mohamed Abdelramane, coiffeur irakien arrivé depuis dix jours : "Les gens ont l’air heureux ici, moi aussi je veux arriver à bien vivre."
Le soir tombe, ils sont une centaine à sortir les couvertures et les chips. Les grilles sont fermées, les entrées filtrées. Négociée avec la préfecture, l’occupation a duré toute la nuit, sans présence policière à l’horizon.
Sylvia Zappi
• ARTICLE PARU DANS L’EDITION DU 15.07.03