| publié le 21 décembre 2003 |
PARIS (AFP) - Des dizaines d’exilés, kurdes, afghans, iraniens, pris au piège de leur rêve d’Occident, errent depuis plusieurs mois près de la gare de l’Est à Paris, avec pour seul but la soupe populaire du soir et un hypothétique abri pour la nuit trouvé par un collectif de soutien.
Ces hommes jeunes, souvent issus des classes moyennes, ont passé des mois sur les routes, versé des milliers d’euros à des passeurs pour une existence qu’ils imaginaient meilleure dans des pays dont ils ne connaissent même pas la langue.
"Là-bas, je n’avais pas de sens à donner à ma vie. Si j’avais juste voulu manger et dormir, je serais resté dans mon pays", explique l’un d’eux, Mohamad, un céramiste de 25 ans qui, à l’été 2000, a quitté Souleimaniyah (Kurdistan irakien).
Pour son voyage, il a vendu sa maison et dépensé 10.000 euros. "De quoi construire un immeuble chez moi", raconte-t-il, avec ses habits pour seuls biens épargnés par trois ans et demi de périple.
Vendredi soir, des militants du collectif de soutien sont venus dans le square où ils se rassemblent annoncer aux exilés qu’ils n’avaient pas trouvé d’abri pour la nuit. Ils ont dormi dans un passage couvert. Samedi, une association leur a offert le gîte. Récemment, ils ont été chassés d’un parking au gaz lacrymogène.
Un fourgon de police provoque un début de fuite précipitée. Ils racontent être souvent contrôlés, fouillés. Mais en France comme ailleurs en Europe, les procédures sont rares. Les Etats ne veulent pas être les premiers à entériner leur présence et ouvrir la porte à une demande d’asile sur leur territoire, expliquent les exilés.
Depuis la fermeture du centre de rétention de Sangatte en novembre 2002, la France a engagé "une politique de camouflage" de ces immigrés d’un nouveau genre, dénonce Jean-Pierre Alaux du Groupe d’information et de soutien aux travailleurs immigrés (Gisti).
Quatre jours après son départ de Souleimaniyah, Mohamad est passé au Kurdistan turc via l’Iran. Il est resté onze jours dans la cave d’une maison de la ville frontalière de Van, entassé avec des dizaines de Kurdes, d’Indiens, de Pakistanais. Ils partent pour Istanbul en camion, payent des dessous-de-table à des policiers pour poursuivre leur route.
Moyennant 2.400 dollars, il passe en Bulgarie puis en Macédoine. A la frontière grecque, il est repoussé à plusieurs reprises par la police dans la montagne macédonienne, mais finit par entrer dans l’Union européenne. Mohamad reste un an et demi en Grèce, gagne de quoi vivre en récoltant des oranges.
Il reprend la route, arrive en janvier en Italie par Bari, poursuit par l’Autriche, l’Allemagne, où il passe un mois et demi en centre de rétention, puis les Pays-Bas, la Belgique et la France. "Je suis fatigué mais qu’est-ce que je vais faire si je retourne en Irak ?". Il espère aller en Angleterre comme, imagine-t-il, ceux qui disparaissent, remplacés par de nouveaux arrivants.
Osman revient de Calais où il a tenté en vain de passer. Désormais, il souhaite rentrer : "Je pensais que l’Europe c’était bien pour des gens comme nous. Si j’avais su que c’était ça, je ne serais pas ici".