"l’Humanité", 20 juin 2005
| publié le 21 juin 2005 |
Le collectif de soutien des exilés du 10e arrondissement de Paris appelait, samedi, la population à coucher dehors.
Pendant une nuit, au moins, les dizaines de réfugiés afghans, kurdes, irakiens, iraniens qui errent près de la gare de l’Est se sont sentis un peu comme les autres. Au square Villemin, rebaptisé « camp Villepin », entre canal Saint-Martin et gare de l’Est, une tente a symboliquement été plantée sous la banderole « Terrain de camping sauvage ». Le collectif d’organisations et de citoyens qui les soutient, créé en mars 2003, a invité riverains et Parisiens en général à passer une nuit à leur côté, à la belle étoile. Sauf que pour ceux que l’on surnomme les « exilés du 10e », c’est tous les soirs la même histoire qui se répète depuis plus de deux ans. Moustapha faisait partie de ceux-là.
Aujourd’hui, cet Afghan de vingt-trois ans a obtenu gain de cause. D’abord auprès de l’OFPRA dont la commission de recours a répondu favorablement à sa demande d’asile, après un premier refus. Auprès des pouvoirs publics, ensuite, en bénéficiant d’un hébergement d’urgence en hôtel, grâce à l’action du collectif. « Quand les taliban ont pris le pouvoir, je suis parti en Turquie. À mon retour en 2002, j’ai été arrêté par le nouveau régime. On me soupçonnait de vouloir militer dans l’opposition. J’ai fait dix jours de prison. Mon père a payé une caution et je suis reparti », raconte-t-il. Après avoir transité par l’Iran et la Turquie, Moustapha pose son baluchon en France. Mais pendant environ trois mois, il devra affronter la vie d’un sans domicile fixe. À présent, il continue de se battre pour ses anciens compagnons de rue qui y sont restés. Comme Amane, autre Afghan de vingt-trois ans, passé par la case Sangatte, et candidat pour la cinquième fois à l’asile.
Pour Jean-Pierre Alaux, membre du collectif de soutien, « la situation est pire qu’au début de la mobilisation, il y a deux ans ». Et ce chargé d’études au GISTI de constater une « arrivée massive d’Afghans depuis plusieurs mois ainsi qu’une montée considérable du nombre de mineurs ». Des jeunes soumis aux expertises osseuses pour contrôler leur âge, mais avec une incertitude de dix-huit mois. Hostilité, rejet, dissuasion, indifférence, le quotidien des demandeurs d’asile est aux antipodes du respect et de l’entraide que devrait susciter leur statut dans un État de droit.
Les exilés du 10e sont aussi la « patate chaude » des pouvoirs publics. La mairie etl’État se renvoyant la balle et niant toute responsabilité. « Quand on est maire de Paris, avec une notoriété nationale, on peut dire des choses. Même si on n’a pas toutes les compétences pour résoudre le problème. Le silence du maire est un silence complice de la politique menée par les premiers ministres de Jacques Chirac », accuse Jean-Pierre Alaux.
Habitante du quartier, Emmanuelle Choppin est venue avec son mari et ses deux enfants pour pique-niquer en soutien aux réfugiés. « Je n’ai pas d’avis sur la politique d’immigration mais s’ils demandent l’asile, qu’ils puissent au moins attendre leur
réponse dans des conditions décentes. Ils sont sympathiques, très souriants et jamais inquiétants. On sent une grande dignité », précise-t-elle. Responsable nationale du secteur migrations au Parti communiste - et élue parisienne - Fernanda Marruchelli dénonce « un gouvernement qui attaque sur tous les fronts en généralisant la suspicion et en faisant jouer la division. Comme il ne réglera pas la question sociale, il tente de faire du chiffre », constate-t-elle. Après avoir arraché 140 places en hôtel, chapeautées par l’association France Terre d’Asile, le collectif réclame un véritable lieu d’accueil et d’information pour les demandeurs d’asile. En cours de préparation, un guide traduit en plusieurs langues. Une fois encore, pour suppléer aux carences des pouvoirs publics.
Ludovic Tomas