“Libération”, 20 juin 2005
| publié le 23 juin 2005 |
par Gilles Wallon
Pour une nuit, le square Villemin, à Paris, a changé d’identité. Le Collectif des exilés du Xe a placardé un nom nouveau sur les arbres et les kiosques : « Camp Villepin, fossoyeur des droits des étrangers. » Samedi soir, ce réseau militant invitait les Parisiens à une nuit à la belle étoile dans ce petit poumon vert, coincé entre la gare de l’Est et les rives du canal Saint-Martin. Les demandeurs d’asile connaissent très bien le quartier. Afghans ou Kurdes irakiens, ils sont des dizaines à y dormir, en investissant la gare, les chantiers, les arcades des immeubles alentour. Cette fois, comme il y a deux ans, la mairie leur a accordé le square pour toute une nuit. « Apportez duvets, oreillers, lampes de poche pour cette nuit de solidarité », précisait le collectif à l’adresse des Parisiens. Mais ceux-ci se sont peu déplacés, encore moins avec des sacs de couchage.
Point de chute. Autrefois zone de transit d’exilés en partance pour Sangatte, le quartier s’est improvisé point de chute à la fermeture du centre, en décembre 2002. A Paris comme à Calais, le manque d’informations leur rend la vie impossible. C’est le cas de Shamsiddin, 19 ans, qui prend une voix douce pour parler de l’Afghanistan, quitté il y a trois ans. « Je suis complètement perdu », lâche-t-il, les yeux dans le vague. Son parcours est le même que celui de tous ces très jeunes gens, mineurs ou à peine majeurs, déjà écoeurés par l’accueil qui leur est réservé, et fatigués par des mois de voyage. Pour Shamsiddin, c’est d’abord la mort des parents dans un bombardement, la Turquie, l’Iran, la Grèce, avant Paris et la gare du Nord. Il rencontre ensuite les membres d’un réseau associatif qui tentent, avec peine, de pallier l’absence d’aides institutionnelles. « Les pouvoirs publics, dont la mairie de Paris, les maintiennent dans un manque total d’information, tempête Jean-Pierre Alaux, du Collectif des exilés. Ils veulent rester dans une indifférence, une discrétion face aux exilés dont nos sociétés s’accordent bien. Donc on les dissuade de déposer leurs demandes et ensuite, chiffres en baisse à l’appui, on fait croire que les exilés ne viennent plus. »
Vers minuit, ils affluent au contraire, par dizaines. Un élu Vert du Xe est présent, à titre personnel. Monseigneur Gaillot est passé lui aussi, le temps de fustiger un système qui « dépossède les plus faibles de leurs droits fondamentaux. » Le regard de Shamsiddin s’est durci. Il vide sa cannette et repense à la demande d’asile déposée en octobre 2003 à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), un organisme passé l’année dernière sous la tutelle du ministère de l’Intérieur. « Ils m’ont posé quatre questions, ça a duré un quart d’heure. » Après cinq mois d’attente, rythmés par les soupes populaires, l’impossibilité de travailler et les nuits d’hôtel « à trois dans une chambre double », il a essuyé un refus, comme dans neuf cas sur dix. « Voilà une terrible fabrique de sans-papiers », estime Suzy, 59 ans, dans le collectif depuis sa création en mars 2003. « L’asile se règle en termes policiers. Ces jeunes ont quitté leur pays en catastrophe mais sont traités comme des suspects. On sait que leur demande ne sera pas acceptée. Alors comment leur conseiller de la déposer ? » Mustapha, Afghan de 23 ans, est amer : « Certains motifs de rejet sont vraiment dégueulasses. »
Fête. Dans la nuit, l’ambiance reste à la fête pour les quelques-uns qui dansent, au son d’un vieux poste à CD. D’autres se sont allongés par petits groupes et tentent de dormir un peu. Mais même cette nuit-là ne les aura pas épargnés : à une heure et demie du matin, l’arrosage automatique se déclenche et jette, une fois de plus, les exilés dans la rue.