Avis de la commission nationale de déontologie de la sécurité sur le racket d’exilés en avril 2004

par Aude Plessis | publié le 13 avril 2006 |

Saisine n° 2004-23

AVIS et RECOMMANDATIONS de la Commission nationale de déontologie de la sécurité

à la suite de sa saisine, le 30 avril 2004, par Mme Nicole Borvo, sénatrice
de Paris et par M me Martine Billard, députée de Paris La Commission
nationale de déontologie de la sécurité a été saisie, le 30 avril 2004
par Nicole Borvo, sénatrice de Paris et par Mme Martine Billard, députée de
Paris, d’un « racket policier » intervenu le 21 avril 2004 dans le 10e arrondissement de Paris, et de « sérieuses présomptions de faits graves
commis par des membres des forces de l’ordre à l’encontre de deux jeunes
Kurdes d’Irak présents sur le sol français, en situation irrégulière, MM.
A.X. et K.M. »
La Commission a entendu trois fonctionnaires de police de
la BAC, un capitaine de police responsable de la BAC et le commissaire
divisionnaire due secteur.

LES FAITS

Le 25 avril 2004, le Collectif de soutien aux exilés du 10e arrondissement
recueillait les témoignages des deux jeunes Kurdes en situation irrégu-
lière concernant des faits dont ils venaient d’être victimes et auxquels ce
collectif a porté foi au vu de « la précision des souvenirs, l’absence de
toute hésitation pour retrouver le lieu, la sincérité, ainsi que l’honnêteté
de la deuxième victime qui n’en profite pas pour affirmer qu’il aurait été
lui aussi volé, la sincérité de leurs interlocuteurs ». De ces témoignages,
il ressort que MM. A.X. et K.M. se trouvaient le 21 avril 2004 à l’angle du croisement du boulevard Magenta et de la rue Guy Patin, lorsqu’un véhicule de police, occupé par trois policiers en uniforme, s’est arrêté à leur hauteur. Les policiers sont descendus de leur véhicule et les
ont aussitôt menottés. M. A.X. a reçu une paire de claques et a fait l’objet d’une fouille. Lors de la palpation, un des policiers a constaté que M. M. A.X. avait des billets dans la poche de son blouson. M. K.M. a été fouillé dans les mêmes conditions, mais son on argent n’a pas été
découvert pendant la palpation. Les policiers ont fait alors monter M. A.X. dans le véhicule et ont relâché M. K.M. . M. A.X. a relaté aux membres du collectif qu’après avoir roulé entre trente et quarante minutes, la
voiture s’était arrêtée dans un endroit peu fréquenté, à proximité d’un
chantier où étaient empilés des rails. Un des policiers a pris l’argent dans
la poche du blouson de M. A.X. et a jeté celui-ci hors du véhicule. Ne
sachant pas où il se trouvait, M. A.X. a sollicité l’aide d’un passant qui
lui a donné un ticket et a attendu le bus avec lui afin de demander au
chauffeur de bus de le faire descendre à l’arrêt Gare du Nord. Les deux
jeunes Kurdes se sont souvenus d’une partie de la plaque minéralogique du véhicule de police. Du fait de l’irrégularité de leur situation de séjour en
France, M. A.X. et M. K.M., craignant une reconduite à la frontière, n’ont
pas porté plainte. La CNDS n’est pas parvenue à retrouver M. A.X. et M. K.M., le collectif et les parlementaires n’ayant plus aucune nouvelle des deux personnes.

Le 27 mai 2004, la CNDS a demandé au ministre de l’Intérieur
de bien vouloir saisir l’IGS des faits allégués dans cette affaire. La Commission était alors informée qu’une enquête administrative approfondie
avait été diligentée le 19 mai 2004 suite à un courrier d’une conseillère
de Paris, V. Dubarry, déléguée du maire du 10e arrondissement à la sécurité
et à la prévention, adressé le 27 avril au Préfet de police de Paris et
dénonçant les mêmes faits. Cette enquête avait été confiée à la hiérarchie
du secteur concerné et remise au service de prospective et de discipline de
la police urbaine de proximité. Le 24 juin 2004, l’IGS a ouvert une
procédure d’enquête. Elle a examiné le dossier de l’enquête administrative
faite par le deuxième secteur. Elle a pris note que l’entière
immatriculation du véhicule concerné avait été retrouvée et que l’équipage
de fonctionnaires ayant opéré dans ce véhicule sur le secteur et sur les
horaires concernés était identifié. Elle apprenait qu’il s’agissait des
gardiens de la paix MM. N.F., F.D. et B.C. Elle prenait connaissance des
conclusions de cette enquête, à savoir que « les trois fonctionnaires ont
affirmé unanimement qu’ils n’ont effectué aucun contrôle ou interpellation
dans le secteur géographique désigné, qu’aucun des contrôles effectués sur
l’ensemble de leur secteur n’avait entraîné de menottage, qu’ils niaient
formellement le vol de numéraires dénoncé », et que « ni l’étude des
procès-verbaux et rapports relatifs à l’activité de la soirée du 21 avril,
ni l’analyse de la main courante de la station directrice TN82, n’avaient
permis de découvrir aucun élément susceptible d’orienter l ’orienter l’enquête ». L’IGS constatait que la première enquête avait pâti de
l’absence des « dénonciateurs » et demandait alors à Mme BORVO si les
coordonnées des deux ressortissants kurdes avaient été retrouvées. MM. A.X.
et K.M. n’étant pas retrouvés, l’IGS a conclu « qu’il apparaissait
impossible de recueillir des éléments complémentaires pour confirmer ou
infirmer les accusations portées. Aucune confrontation ne pouvait être
envisagée ». Elle relevait que le gardien de la paix N.F. n’était pas
défavorablement connu de son service et que MM. B.C. et F.D. avaient fait
l’objet de plusieurs procédures pour faits de violences au cours desquelles
leur responsabilité n’avait pas été établie.

M. N.F., lors de son audition
par la Commission, a déclaré qu’il ne se souvenait pas avoir été convoqué
par sa hiérarchie à l’époque pour ces faits. Il a pris connaissance du
contenu des plaintes des deux Kurdes, après avoir reçu sa convocation à la
CNDS, en relisant le procès-verbal de son « audition administrative ». Il
ignorait qu’une plaque d’immatriculation relevée par les deux plaignants
avait été identifiée par son service comme étant celle du véhicule dans
lequel il patrouillait avec ses collègues. Il estime que « cette histoire a
été purement inventée ». M. B.C. se souvient avoir été convoqué par son
responsable, le capitaine N.M., « mais ne se souvient pas de quoi il était
question ». Il a déclaré « découvrir aujourd’hui l’intégralité des faits
pour lesquels la Commission a été saisie ». M. F.D. se souvient avoir été
entendu par sa hiérarchie sur les faits dont est saisie la Commission. Il ne
se souvient pas vraiment des faits, mais pense avoir été entendu « sur des
faits similaires ». Il a déclaré ne pas les avoir commis, ajoutant : « Je ne
vais pas risquer ma carrière pour ce genre de choses. Je n’ai fait aucun
contrôle ce jour-là concernant ces personnes ». Il dit avoir ignoré
jusqu’à son audition à la CNDS que l’équipage dont il faisait partie avait été identifié par sa hiérarchie « après que le numéro partiel du véhicule ait été relevé et après que le signalement du chauffeur ait été donné ». M.
F.D. estime qu’il est « facile de relever le numéro d’immatriculation d’un véhicule de police ainsi que le signalement du chauffeur, pour ensuite
inventer n’importe quoi ». Questionné sur le rapport qu’il a établi le 3 mai 2004 relatif aux plaintes des deux Kurdes et qui est mentionné dans le
procès-verbal de son audition dans la procédure administrative, M. F.D. a
déclaré « n’avoir aucun souvenir d’avoir rédigé un rapport sur ces faits ».
Le responsable de la BAC, le capitaine N.M., en charge de l’enquête administrative, a exposé qu’il avait peu d’informations au départ, seulement le
fait que « les plaignants sont des personnes en situation irrégulière,
qu’ils ne se sont pas présentés dans un service de police pour porter
plainte, le numéro partiel d’une plaque minéralogique et une zone
géographique, un créneau horaire ». Il a identifié rapidement « sur le
créneau horaire concerné pour le secteur concerné, le véhicule d’un équipage
de service le 21 avril ». Il s’agissait de trois de ses collègues de la BAC.
Il a procédé à leurs auditions. Il « n’a pas retrouvé sur les feuilles radio
une trace de leur présence dans le secteur et l’horaire concerné », « ni trace d’ailleurs de leur présence à l’autre bout du secteur sur le créneau horaire concerné ». Questionné sur les déclarations identiques des trois
fonctionnaires dans les procès-verbaux de l’enquête, il a exposé qu’il « ne pouvait poursuivre plus avant ses auditions et qu’il a transmis ses
conclusions à sa hiérarchie qui a dû les transmettre à la préfecture ». Il
estimait qu’« une enquête de l’IGS semblait s’imposer, vu la gravité des
faits allégués », ce qu’il a indiqué à l’issue de son enquête. Il déclare
avoir reçu quelques jours après un appel d’un de ses collègues de l’IGS, qui
lui indiquait que « c’était une affaire grave et qu’il serait sans doute
amené à mettre les trois policiers concernés en garde à vue ». Après cela,
il n’a plus eu de nouvelles de l’IGS. Il précise qu’il avait demandé un
rapport aux trois fonctionnaires de police concernés et que ceux-ci avaient
été transmis à la hiérarchie avant l’enquête administrative. Concernant
l’impossibilité de situer et de connaître l’activité des trois fonctionnaires de police ce jour-là, le commissaire divisionnaire responsable du
2e secteur expose que « concernant les fonctionnaires de la BAC, on ne sait
pas toujours où ils sont. Ils nous signalent leur position quand ils ont
fait une interpellation. Plusieurs interventions ne font pas l’objet obligatoirement de signalement radio ». Il explique que les auditions des trois
policiers n’ont mené à rien, que l’intervention de l’IGS était la plus
appropriée et que le travail de recherche des plaignants pouvait être fait
par ce service. Il ne s’explique pas pourquoi les trois fonctionnaires ne
sont pas informés des faits et des circonstances du dossier, alors qu’il est
spécifié dans leurs procès-verbaux respectifs qu’ils ont pris connaissance
du courrier de la conseillère de Paris. Dans le rapport d’enquête
administrative, le commissaire divisionnaire chef du 2e secteur avait fait
valoir en mai 2004 que « la responsabilité et la moralité des fonctionnaires
de son service ne sauraient être mises en cause par les allégations anonymes
d’un individu au seul motif qu’il se déclare hors-la-loi ».

AVIS

La Commission n’a pu retrouver MM. A.X. et K.M. et recueillir leurs
témoignages. La Commission estime que l’irrégularité du séjour d’une personne étrangère n’invalide pas la légitimité de son témoignage,
recueilli par des élus de la République ou des représentants de la société
civile, et qu’il n’en découle pas que des fonctionnaires de police se
livrant à des actes illé- gaux pourraient se voir octroyer par leur
hiérarchie une impunité de fait. En l’espèce, ce dossier n’a pas fait
l’objet d’une prise en compte sérieuse de la part des services de police. De
l’étude du dossier, la Commission retire que la hiérarchie du service
concerné a diligenté une enquête administrative qui a conclu très rapidement que « le manque de précisions n’a pas permis de retenir une quelconque faute professionnelle à l’encontre des policiers entendus », et que « 
les éléments portant sur les circonstances exactes, l’heure précise, la description des tenues, le signalement des policiers que seul l’individu qui
se déclare victime pourrait fournir n’étant pas connus, le dossier peut être
classé sans suite ».
Pour sa part, la Commission observe que les
procès-verbaux d’audition des trois fonctionnaires sont ont particulièrement
brefs et comportent des déclarations « toutes faites » quasi identiques,
avec l’utilisation des mêmes termes par les trois policiers. Elle considère
qu’on ne peut déduire du fait qu’aucun contrôle ou inci- dent n’ait été té
signalé ce soir-là, ni n’ait laissé de trace sur la main- courante radio,
que les faits dont a été victime M. A.X. ne se sont pas produits. On n’imagine pas que des fonctionnaires de police se livrant aux actes illégaux
dénoncés dans ce dossier (interpellation arbitraire, séquestration,
extorsion de fond) auraient pu en tenir informée la station directrice ou en
rendre compte à leur hiérarchie de quelque manière que ce soit. Du caractère
erratique de l’enquête administrative menée par la hiérarchie du service
concerné et de l’audition du commissaire divisionnaire du 2e secteur, la
Commission retire que la situation « irrégulière » des plaignants a pesé
défavorablement sur le traitement de ce dossier, alors qu’il mettait en
cause gravement la probité de fonctionnaires de police. Elle estime
inacceptable qu’un commissaire divisionnaire n’ait pas cru devoir manifester
plus d’intérêt et d’attention à ces plaintes qui, au-delà du préjudice
éventuel subi par M. A.X., mettaient en cause la responsabilité et la
moralité de son service, quelle que soit la régularité de la situation
administrative des personnes étrangères victimes. La Commission s’étonne que
l’Inspection générale des services ait rapidement entériné les conclusions
de « l’enquête » d’un service dont la respon- sabilité était questionnée
dans ces allégations graves. Elle regrette que l’IGS n’ait pas cru devoir aller au-delà des procès-verbaux et des constatations de l’enquête menée par
la hiérarchie du service concerné, qu’elle ne les ait pas convoqués, et ceci
malgré le fait ait que deux des fonctionnaires avaient déjà attiré son
attention dans des procédures pour violences. La Commission observe que
depuis ces faits, le gardien de la paix M. B.C. a été d ’objet d’une
mutation disciplinaire pour une autre affaire.

RECOMMANDATIONS

La Commission souhaite attirer
l’attention du ministre de l’Intérieur sur le fait que les dossiers mettant
en cause la probité des fonctionnaires de police doivent être confiés
d’emblée à l’inspection générale de la Police nationale et non à la
hiérarchie du service impliqué. Adopté le 19 décembre 2005

Conformément à l’article de la loi du 6 juin 2000, la Commission a adressé
cet avis à M. Nicolas Sarkozy, ministre d’État, ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire.

La réponse est consultable en Pages 28 à 29 du fichier PDF correspondant aux
pages 62 et 63 du rapport.
Extrait du rapport 2006 de la CNDS

Pages 22 à 29 du fichier PDF correspondant aux pages 56 à 63 du rapport.

http://www.cnds.fr/pages/ra.htm

- Accueil
- la liste zpajol
Historique 2001-2007
9ème collectif
- communiqués
- Les sans-papiers du 9ème collectif à l’UNICEF
- Les sans-papiers du 9ème collectif sous la protection des syndicats
- Occupation de la Fédération 93 du PS - janvier 2005
CAE (Collectif Anti-Expulsions)
- Avec les collectifs de sans-papiers en lutte
- Communiqués du CAE
- Expulsions et inculpations de passagers
Guides et brochures
Brochures
- Brochure n°5 - Ni prisons, ni rétention, ni expulsions
- Guides juridiques
International
- Journées internationales d’action des 14-15 octobre
Matériel
- Affiches
- Autocollants
Qui sont les expulseurs...
- Groupe ACCOR
- Groupe ENVERGURE
- la Croix Rouge
- Rendez-vous
Rétention et zones d’attente
- Choisy-le-Roi (Val de Marne - 94)
- Palaiseau (Essonne - 91)
- ZAPI 3 (zone d’attente de l’aéroport de Roissy)
- Zone d’attente de la Gare du Nord (Paris)
actions et manifestations
- 2 avril 2005 journée européenne de mobilisation
- 2ème Caravane européenne pour la liberté de circulation et d’installation (Barcelone)
- 3ème journée européenne d’action sur les migrations (7/10/06)
- Manifestations
- mouvements dans les centres de rétention français
- Débats
- Ressources
Collectif des exilés du 10ème arrdt de Paris
Actions passées
- Accueil de nuit tournant hiver 2003-2004
- Appel à coucher dehors - juillet 2003
- Charter vers l’Afghanistan - Décembre 2005
- Interpellation des politiques - janvier à mars 2004
- Les anciens Zut ! Zut ! , le bulletin d’information du collectif.
- Mobilisations autour du Centre de Réception des Etrangers
- Occupation du SSAE - octobre 2003
- Premières mobilisations - mars à mai 2003
- Rapport sur la situation - mai 2003
- Compte-rendu des maraudes
- Infos pratiques sur l’asile
Les exilés à Calais
- Revue de presse
Les exilés sur les routes d’Europe
- Grèce
- Liens
Projets/Actions en cours
- Mineurs en danger
- Quelques photos
- Qui sommes nous ?
- procès Bouygues
- Caravane des Effacés slovènes (2006)