sur le musée du quai Branly

par Aminata Traoré | publié le 29 juin 2006 |

Aminata Traoré est sociologue, essayiste et ancienne ministre de la culture et du Tourisme du Mali

« Ainsi nos oeuvres d’art ont droit de cité là où nous sommes, dans
l’ensemble, interdits de séjour »

Talents et compétences président donc au tri des candidats africains à
l’immigration en France selon la loi Sarkozy dite de « l’immigration choisie »
qui a été votée en mai 2006 par l’Assemblée nationale française.

Le ministre français de l’Intérieur s’est offert le luxe de venir
nous le signifier, en Afrique, en invitant nos gouvernants à jouer le rôle
de geôliers de la « racaille » dont la France ne veut plus sur son
sol. Au même moment, du fait du verrouillage de l’axe Maroc/Espagne, après les
événements sanglants de Ceuta et Melilla, des candidats africains à
l’émigration clandestine, en majorité jeunes, qui tentent de passer par les
îles Canaries meurent par centaines, dans l’indifférence générale, au large des
côtes mauritaniennes et sénégalaises. L’Europe forteresse, dont la
France est l’une des chevilles ouvrières, déploie, en ce moment, une
véritable armada contre ces quêteurs de passerelles en vue de les éloigner le plus
loin possible de ses frontières. Les oeuvres d’art, qui sont aujourd’hui
à l’honneur au Musée du Quai Branly, appartiennent d’abord et avant
tout aux peuples déshérités du Mali, du Bénin, de la Guinée, du Niger, du
Burkina-Faso, du Cameroun, du Congo. Elles constituent une part substantielle
du patrimoine culturel et artistique de ces « sans visa » dont certains sont
morts par balles à Ceuta et Melilla et des « sans papiers » qui sont
quotidiennement traqués au coeur de l’Europe et, quand ils sont
arrêtés, rendus, menottes aux poings à leurs pays d’origine. Dans ma « 
Lettre au Président des Français à propos de la Côte d’Ivoire et de
l’Afrique en général », je retiens le Musée du Quai Branly comme l’une des
expressions parfaites de ces contradictions, incohérences et paradoxes de la
France dans ses rapports à l’Afrique. A l’heure où celui-ci ouvre ses portes
au public, je continue de me demander jusqu’où iront les puissants de ce
monde dans l’arrogance et le viol de notre imaginaire. Nous sommes invités,
aujourd’hui, à célébrer avec l’ancienne puissance coloniale une
oeuvre architecturale, incontestablement belle, ainsi que notre propre
déchéance et la complaisance de ceux qui, acteurs politiques et institutionnels
africains, estiment que nos biens culturels sont mieux dans les
beaux édifices du Nord que sous nos propres cieux. Je conteste le fait
que l’idée de créer un musée de cette importance puisse naître, non pas d’un
examen rigoureux, critique et partagé des rapports entre l’Europe et
l’Afrique, l’Asie, l’Amérique et l’Océanie dont les pièces sont originaires,
mais de l’amitié d’un Chef d’Etat avec un collectionneur d’oeuvre d’art
qu’il a rencontré un jour sur une plage de l’île Maurice. Les trois cent
mille pièces que le Musée du Quai Branly abrite constituent un véritable
trésor de guerre en raison du mode d’acquisition de certaines d’entre elles
et le trafic d’influence auquel celui-ci donne parfois lieu entre la
France et les pays dont elles sont originaires. Je ne sais pas comment les
transactions se sont opérées du temps de François 1er, de Louis XIV et au XIXième
siècle pour les pièces les plus anciennes. Je sais, par contre, qu’en son
temps, Catherine Trautman, à l’époque ministre de la culture de la France
dont j’étais l’homologue malienne, m’avait demandé d’autoriser l’achat
pour le Musée du Quai Branly d’une statuette de Tial appartenant à un
collectionneur belge. De peur de participer au blanchiment d’une oeuvre d’art qui
serait sortie frauduleusement de notre pays, j’ai proposé que la France
l’achète (pour la coquette somme de deux cents millions de francs CFA),
pour nous la restituer afin que nous puissions ensuite la lui prêter. Je me
suis entendue dire, au niveau du Comité d’orientation dont j’étais l’un des
membres que l’argent du contribuable français ne pouvait pas être utilisé dans
l’acquisition d’une pièce qui reviendrait au Mali. Exclue à partir de ce
moment de la négociation, j’ai appris par la suite que l’Etat malien, qui
n’a pas de compte à rendre à ses contribuables, a acheté la pièce
en question en vue de la prêter au Musée. Alors, que célèbre-t-on
aujourd’hui ?
S’agit-il de la sanctuarisation de la passion que le Président des
Français a en partage avec son ami disparu ainsi que le talent de
l’architecte du Musée ou les droits culturels, économiques, politiques et sociaux
des peuples d’Afrique, d’Asie, d’Amérique et d’Océanie ?

Le Musée du Quai Branly est bâti, de mon point de vue, sur un
profond et douloureux paradoxe à partir du moment où la quasi totalité des
Africains, des Amérindiens, des Aborigènes d’Australie, dont le talent et la
créativité sont célébrés, n’en franchiront jamais le seuil compte tenu de la
loi sur l’immigration choisie. Il est vrai que des dispositions sont
prises pour que nous puissions consulter les archives via l’Internet. Nos oeuvres
ont droit de cité là où nous sommes, dans l’ensemble, interdits de séjour. A
l’intention de ceux qui voudraient voir le message politique
derrière l’esthétique, le dialogue des cultures derrière la beauté des
oeuvres, je crains que l’on soit loin du compte. Un masque africain sur la
place de la République n’est d’aucune utilité face à la honte et à
l’humiliation subies par les Africains et les autres peuples pillés dans le cadre d’une
certaine coopération au développement. Bienvenue donc au Musée de
l’interpellation qui contribuera - je l’espère - à édifier les opinions publiques
française, africaine et mondiale sur l’une des manières dont l’Europe
continue de se servir et d’asservir d’autres peuples du monde tout en prétendant
le contraire. Pour terminer je voudrais m’adresser, encore une fois,
à ces oeuvres de l’esprit qui sauront intercéder auprès des opinions
publiques pour nous.

« Vous nous manquez terriblement. Notre pays, le Mali et l’Afrique
tout entière continuent de subir bien des bouleversements. Aux Dieux
des Chrétiens et des Musulmans qui vous ont contesté votre place dans
nos coeurs et vos fonctions dans nos sociétés s’est ajouté le Dieu argent.
Vous devez en savoir quelque chose au regard des transactions dont certaines
nouvelles acquisitions de ce musée ont été l’objet. Il est le moteur du
marché dit O’libre’’ et O’concurrentiel’’ qui est supposé être le paradis sur
Terre alors qu’il n’est que goufre pour l’Afrique. Appauvris, désemparés
et manipulés par des dirigeants convertis au dogme du marché, vos
peuples s’en prennent les uns aux autres, s’entretuent ou fuient. Parfois, ils
viennent buter contre le long mur de l’indifférence, dont Schengen.
N’entendez-vous pas, de plus en plus, les lamentations de ceux et celles qui
empruntent la voie terrestre, se perdre dans le Sahara ou se noyer dans les eaux
de la Méditerranée ? N’entendez-vous point les cris de ces centaines de
naufragés dont des femmes enceintes et des enfants en bas âge ? Si oui, ne
restez pas muettes, ne vous sentez pas impuissantes. Soyez la voix de vos
peuples et témoignez pour eux. Rappelez à ceux qui vous veulent tant ici dans
leurs musées et aux citoyens français et européens qui les visitent que
l’annulation totale et immédiate de la dette extérieure de l’Afrique est
primordiale. Dites-leur surtout que libéré de ce fardeau, du dogme
du tout marché qui justifie la tutelle du FMI et de la Banque mondiale, le
continent noir redressera la tête et l’échine. »

Aminata Traoré

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