Libération", 5 janvier 2006
Près de 80 sans-papiers ont défilé, hier, contre les tracasseries de la police.
| publié le 8 avril 2006 |
Manifestation pour des passeports à Calais
C’est une petite manifestation de cheveux noirs, de bonnets et d’anoraks, de sourires et d’yeux qui brillent. Une banderole, en anglais : « Ouvrez les frontières ou donnez-nous des papiers. » Ils ne sont pas plus de 80, essentiellement pakistanais, iraniens et afghans, sur quelque 300 présents. Ils marchent entre le quai de la Moselle où vient d’être distribué le repas et la sous-préfecture, à quelques centaines de mètres de là. Ils scandent, tonnent, en anglais : « Passport, passport. » Bachir, 19 ans, afghan, se marre franchement : « Eh, les gars, vous dites passport, passport, mais est-ce que vous vous avez au moins préparé votre photo ? »
Repas chaud. Samân, 16 ans, afghan, marche avec eux. « Je vis ici dans la rue, sans argent, depuis deux mois. Les policiers nous arrêtent, prennent nos empreintes et nous relâchent, à plusieurs heures de route. » Quand il rentre, ça lui prend la journée, pas d’argent pour payer le train, les contrôleurs le font descendre. « La dernière fois, on a dormi dans un parc avec un ami. On a frappé à une porte parce qu’on avait faim. Les gens nous ont donné des biscuits et de l’eau. » Amir, 22 ans, iranien, confesse qu’il a une fois demandé à être arrêté pour avoir un repas chaud dans un centre d’hébergement.
Devant la sous-préfecture, Akash, 22 ans, pakistanais, s’époumone dans un mégaphone prêté par une militante CGT. Samân se demande si cette manifestation servira à quelque chose. De l’intérieur du bâtiment, la réponse arrive : refus de recevoir les migrants. La petite troupe se disperse en silence, direction le quai de la Moselle, où ceux qui n’ont pas osé manifester, par lassitude ou peur de la police, sont restés autour d’un feu. Médecins sans frontières les soigne dans un camion. Ils ne prennent qu’une douche par mois, grâce au Secours catholique, mais sont rasés de frais, « avec l’eau des tuyaux d’arrosage, sur le port ». Amir ouvre son anorak, toute sa salle de bains est là, offerte par le collectif de soutien d’urgence aux réfugiés C’Sur : dentifrice, brosse à dents, rasoir jetable. En plus, il s’est payé un flacon de parfum bon marché au thé vert. « L’eau de Cologne, je la vide sur moi quand je prends le train, pour que les gens ne sentent pas mon odeur de fumée », dit Amir.
Passeurs. Bachir fait le clown : « Quatre mois que je n’ai pas mangé un vrai repas. Si on m’en offre un, je m’évanouis. » Mohsen, 18 ans, iranien, raconte sa dernière expulsion avec détachement. « Les policiers sont arrivés, ils ont fait "toc, toc" sur la porte du hangar. "Réveille-toi mon chéri, tu as des papiers ? Non ? Viens, on va te faire des nouveaux papiers." »
Les autres se bidonnent. Puis racontent les gaz lacrymogènes, les os des mains et des doigts cassés, une arcade sourcilière éclatée. « On a connu un pic de 500 réfugiés en décembre. Cela coïncidait avec les émeutes de banlieue. Les CRS étaient occupés ailleurs », analyse Michaël Dauvergne, bénévole à C’Sur.
Il n’y a pas que les CRS, il y a aussi les passeurs. « Ils te prennent 1 000 dollars pour te glisser sous les camions. Si tu n’as pas d’argent, ils sortent un couteau, tu n’as pas à être là », gémit Amir. Il montre un lieu où dorment certains : à l’intérieur de tuyaux métalliques. Bachir rigole en montrant son pantalon fatigué : « Quand il va nous voir arriver, Tony Blair, il va dire : "Attends, c’est pas des humains, ça." » Retour quai de la Moselle. Une Calaisienne distribue des gâteaux aux migrants qu’elle croise. « Les gens d’ici sont bien, dit Amir, ce sont les policiers qui ne vont pas. » Mohsen corrige : « Pas tous. La dernière fois qu’ils m’ont déposé à la frontière allemande, un policier a déplié une carte de France et m’a montré le trajet pour rentrer à Calais. »
par Haydée Sabéran
Calais envoyée spéciale